La grande finale

1 mars 2013

La grande finale

J’adore mes grands-parents. Je vous l’ai dit l’autre jour.

Mais pas toujours…

Ils signaient le bail de leur nouvel appartement aujourd’hui. En banlieue sud de Montréal. On dit la Rive-Sud parce que Montréal est une île, vous saviez? «Ça va être beau. On va avoir plein de “facilités“. On est sur le bord du fleuve. On va voir les feux d’artifice. Tu viendras nous voir, là.»

Elle parle des feux d’artifice du Vieux-Port de Montréal. L’été, chaque jeudi et samedi. C’est pas mal, mais je les ai déjà vus 1000 fois. C’était une activité de famille quand j’étais petit. D’aller au bureau de mon père au 37e étage du plus haut gratte-ciel du centre-ville. Le soir. C’était excitant. On se sentait comme des cambrioleurs. D’ouvrir la radio pour écouter la musique assortie et de parler à voix basse pour ne pas réveiller qui donc? Cinq minutes c’était beau, les 15 minutes du milieu, c’était plate. On attendait la grande finale.

Eh bien, pour une grande finale, je peux vous dire que je suis déçu de mes grands-parents. La banlieue, on sait ce que c’est: c’est la mort.

J’ai assez chicané ma soeur quand elle a acheté sa maison à Laval. Oui, t’as une maison pas chère, mais tes enfants vont aller à l’école avec des nonos. Tu verras jamais tes amis. Et maintenant mes grands-parents… Ils avaient une belle maison devant le lac L’Achigan. Mon grand-père avait son potager. Un bateau. Il allait à la pêche. C’était beau. Halle Berry avait un chalet là-bas quand elle sortait avec son mannequin québécois.

Mais ils ont peur. C’est ça, en gros.

Si l’un des deux meurt, l’autre se retrouve tout seul avec toutes les démarches pour vendre la maison et les papiers, et cetera.

Au fond, c’est un geste d’amour.

Mais vous savez ce qu’on dit: l’amour est aussi aveugle que Stevie Wonder (qui, justement, écrivait de très aveugles chansons d’amour.) Ils oublient qu’on est là. À tout moment. Comme quand mon grand-père paternel est mort. Chez lui. Et puis, mon père s’occupe des papiers de ma grand-mère. Ça marche.

Vous savez les maudites publicités dans Le Bel Âge? C’est ça que ça donne. Ça se sert de la peur pour vendre des «appartements pour personnes autonomes» 4x le prix. Mais c’est con. S’ils meurent nos vieux, parce qu’ils habitent en banlieue et qu’ils s’ennuient à mourir, vous allez arrêter de faire de l’argent avec eux, ma bande de caves! Je vous hais.

C’est sûr que je suis un peu égoiste. J’adorais cette maison-là. J’y passais une semaine tous les ans quand j’étais petit et que mes grands-parents passaient l’hiver en Floride. J’adorais y retourner. Je m’ennuie à la campagne, mais ça fait du bien s’ennuyer. Et puis, j’ai plein de souvenirs là-bas. J’ai regardé Astérix: Mission Cléopâtre 22 fois sur une des 800 chaînes qu’ils avaient. J’ai fait l’amour avec une Marseillaise dans la montagne derrière. Je n’aurai même pas le temps d’y retourner avant la vente de la maison.

Ma mère aussi, ça lui fait de la peine. Elle aimerait bien que mon père l’achète avec sa soeur. Mais ça n’arrivera pas. Mon père est attaché au chalet familial à Saint-Anicet.

Elle leur a répété cent fois.

Leur épicerie, ils peuvent se la faire livrer. Les médecins, ils se déplacent maintenant, non? En 2013, si t’as de l’argent, tout se fait, non? C’est la beauté de la modernité.

Moi, je ne sais pas, mais je n’aime pas voir mes grands-parents se préparer à mourir.

Et ma mère et ma tante essayer d’influencer la décision, je trouve ça assez pathétique.

Je me sens comme dans L’Heure d’été mais l’hiver…

Cristi.

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