Les Maliens et vous et moi

Article : Les Maliens et vous et moi
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12 novembre 2012

Les Maliens et vous et moi

Je n’y étais encore jamais allé l’automne. En tout cas, même l’automne, ils sont pas mal. Je parle des couchers de soleil. Ce sont les plus beaux du monde à ce qu’il paraît. C’est mon père qui me l’a dit. Il l’avait appris de son père à lui et pour moi, c’est une des quelques vérités authentiques, ça et la mort.

L’église de Saint-Anicet se prépare pour l’hiver (crédit photo: Denis-Carl Robidoux)

La plupart de mes souvenirs d’enfance sont situés là-bas. À «Saint-A» comme on dit (pour Saint-Anicet qui est le triste nom de ce village, pauvre de lui…) Bobby qui me réveille à 8h du matin pour jouer aux «camions»; les hots-dogs/hamburgers du dimanche midi; et surtout grand-papa qui nous attend au bout du quai lors d’une promenade en bateau.  J’y suis allé tous les weekends de juin à septembre jusqu’à un certain âge. J’y vais encore deux-trois fois par année, quand j’ai l’impression que la ville ne veut pas de moi.

En auto, c’est à un peu plus d’une heure de Montréal, vers le sud-ouest, en descendant le fleuve Saint-Laurent qui devient assez large à ce niveau-là pour qu’on l’appelle le lac Saint-François. De l’autre côté du fleuve, ce n’est plus le Québec, c’est le village de Lancaster en Ontario. 15 km au sud : la route 132, qui commence 1600 km plus haut en Gaspésie, s’éteint dans la Water Street et le village de Fort Covington aux Etats-Unis. Je n’ai jamais mis les pieds à Fort Covington. À Lancaster, Ontario, une fois je crois.

La maison, elle appartient à ma grand-mère qui n’y va plus tellement souvent. C’est donc dire qu’elle appartient autant à moi qu’à mes sœurs, mes parents, mes tantes, mes cousins, même le mari de ma tante qui s’y réfugie régulièrement pour écrire des livres d’horreur. Bien tassés, il y a de la place pour 12 ce qui fait que je suis très proche de la famille de mon père. Quand on a entendu aux nouvelles qu’il y avait eu un double-meurtre là-bas il y a deux semaines, on s’est tous appelés pour se le dire.

«Drame de Saint-Anicet: “personne ne comprend“», titrait le journal comme d’habitude.

Deux semaines plus tard, personne – sutout pas les journalistes – n’y pensait plus, mais moi si, parce qu’un drame à Saint-Anicet, c’est une grosse tache sur mon idéal rustique.

Bien sûr, j’avais déjà entendu toutes sortes d’histoires de drogues, de motards, de policiers pas trop honnêtes, de bars de danseuses qui brûlent et comme Brassens le chantait «c’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages, ils n’ont qu’un seul point faible, et c’est d’être habités». Ma grand-mère me racontait pas plus tard qu’hier que ses oncles vendaient de l’alcool aux Américains durant la prohibition des années 1920s et il faut croire que certains de leurs descendants ont poursuivi cette belle tradition.

Mais ça demeurait très abstrait tout ça, parce que notre coin de paradis à nous donne sur le fleuve, et mes contacts avec les autres habitants du village sont restreints à l’épicerie et au marché à légumes, à la boulangerie artisanale qui a ouvert cette année, au club vidéo et aux escaliers arrières de la bibliothèque depuis que j’ai piqué leur code WIFI.

Je dirais même que les gens qui y habitent à l’année longue m’ont toujours jeté le regard qu’on jette aux étrangers, ne sachant peut-être pas que mon arrière-grand-mère était institutrice au village voisin et que le beau-frère de ma grand-mère était le marchand général, le banquier, le postier, bref l’homme à tout faire du village, au milieu du siècle dernier. Quand je vais jogguer avec ma mère, on va toujours lui dire bonjour là où il repose en paix depuis 40 ans et où je ne détesterais pas qu’on m’enterre.

Mais pas cette fois-ci, j’ai continué lentement jusqu’à la 89e avenue. J’ai demandé au voisin quelles étaient les rumeurs du village: il m’a dit la même chose qu’à la journaliste. J’ai vu un chat qui traversait en vitesse le chemin en gravier. Je lui ai couru après avec mon magnétophone. Il m’a répondu : «Go fuck yourself!». (C’était un chat américain, sans doute.) J’ai regardé par la fenêtre de la petite maison dans laquelle les Dubreuil se sont entretués. Il n’y avait personne, évidemment. Il commençait déjà à faire noir.

C’est tout ?

Non.

Il y a aussi ce proverbe malien qui ne parle même pas vraiment de villages, mais de Maliens et de vous et de moi: «Le soleil n’oublie pas un village parce qu’il est petit.»

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