24 heures non-stop ou une journée au Berghain
N.B. – Voici une expérience de journalisme live. Je ne prétends pas à la vérité absolue, mais ce que vous lirez ici, je l’ai écrit en direct, sur mon téléphone, comme un film de mes impressions objectives et subjectives.
J’arrive au Berghain à 3h45 dimanche matin. Il fait putain froid. La ligne est d’au moins 45 minutes, mais ça va. J’y suis préparé: c’est ma cinquième fois ici. Un couple devant moi: un Canadien et une Berlinoise. On discute un peu. Je leur raconte à quel point le Berghain est important pour moi puisque j’y ai rencontré mon ex. Eux aussi se sont rencontrés ici. On rit. Derrière moi, un jeune: 20 ans à peine. Il nous a entendu. «Where from in Canada?» «Montréal» «Ah! that’s my favorite city on the East Coast.» J’approuve. «And you?» «Itheca. New York State. Ever heard of Cornell University?» «Yes.» «It’s there.»
Il est sympathique. On parle de techno. Il connaît ça mieux que moi. Il connaît par coeur le line-up: Robert Hood, DVS1, Benjamin Damage, Marcel Dettmann, Rødhåd au Berghain (premier étage); Roman Flügel, DVS1, Dixon, Marcus Worgull, Âme au Panorama Bar (deuxième étage). Je m’en tire pas mal, mais je ne connais pas la moitié des chansons dont il me parle. C’est un techno nerd en fait. Il ne boit pas. Il ne prend pas de drogue. Il a dormi 6 heures avant de venir. Kamal qu’il s’appelle. D’origine pakistanaise. Il va au Pakistan dans une semaine et me dit sa déception de manquer Theo Parrish le 28 au Festsaal Kreuzberg. «You should go there.» Oui, monsieur. J’y serai.
On approche de l’entrée. Les gens sont tendus. Alors que Kamal me parle de son dernier achat (Back 2 Skool de Deeon à 30$ sur eBay), je lui dis de se taire. «Time to act cool.» Douze personnes devant le couple Vancouver-Berlin se font refuser l’entrée. C’est mon tour. Je fais comme si je m’en foutais. Le doorman me dit: «Bist du allein?» «Ja.» Il me fait signe d’entrer. «Have a good night.» Oh my god, I’m soooooo cool! C’est un peu ça le feeling.
Coat check. Oh putain: Almut! «You work here now?» C’est Almut qui m’a introduit au Berghain. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Le 22 juillet 2011. James Holden était en feu. J’avais rencontré Joana cette soirée-là aussi, mais on ne parlera pas de ça hein? Je demande à Almut à quelle heure elle finit. «In 4 hours». Ensuite, elle fera une sieste et reviendra en soirée pour le set de Marcel Dettmann. «Simon will be there as well». Ah Simon! J’ai déjà réalisé un vidéoclip dans lequel on l’avait forcé dans un costume de robot absolument inconfortable. Il ne s’était pas plaint. «Okay, then I’ll see you tomorrow.»
J’entre. Le son est fort. Trop fort. Direction l’avant. C’est la place pour ne pas devenir sourd: un peu devant les speakers. Ici, ça va. Le set de Robert Hood est dans 15 minutes.
Je le connais surtout pour sa participation dans le groupe mythique Underground Resistance avec Jeff Mills, mais j’ai écouté son projet solo quand j’ai su qu’il était à Berlin. Franchement, j’adore son nouveau single: Drive (The Age of Automation). Minimaliste à fond – on dit que c’est Robert Hood qui a popularisé la techno minimale avec son album Minimal Nation en 1994 – mais énergique, jamais ennuyante. Ça lui vient de ses influences disco/soul qu’il explore sous un pseudo: Floorplan. Écoutez cette bombe disco-house qu’il a sorti en 2011 sur le EP Sanctified. Du gospel! Mais il ne la jouera pas parce que son set est en bas, au Berghain où l’on ne joue que de la techno, c’est-à-dire de la musique de robot. Répétitive. Agressante. Inhumaine. Quelle honnêteté! J’adore ça.
Robert Hood est là. J’en reviens presque pas que Robert Hood soit à 3 mètres de moi. De près, c’est juste un noir bâti avec un t-shirt blanc. Mais c’est surtout une légende de la techno. Et Jeff Mills a beau être la grande vedette de Underground Resistance, ce qu’il fait maintenant c’est vraiment nul. Et puis Robert Hood n’a jamais ouvert de magasins de vêtements lui. Et pourtant les gens autour de moi n’ont pas l’air de savoir c’est qui. J’en entends un justement derrière moi: «¿Quién es?» Au moins, on lui répond la bonne chose. Pas tous des néophytes. Enfin, son set commence. De l’ambient pour commencer. Un bon deux minutes. Puis le beat entre, sans feu d’artifice. À partir de la troisième, le party commence. Il est 5h15 du matin. Ça siffle. À la quatrième chanson, la basse est puissante et on entend une voix. Je ne comprends pas. C’est pas ça, mais j’entends «Wie geht’s dir?». Littéralement «comment ça va?» en allemand. Bien, Robert! L’éclairage est un stroboscope bleu et rouge à intervalle qui imite une sirène de police. La cinquième chanson est très groovy. Un gars à moitié nu danse les bras levés vers je-ne-sais-quoi.
(J’ai écrit «Mon coeur bat à 132 BPM», mais c’est un peu kitsch maintenant que j’y pense.)
Ah tiens: voilà Mia qui est là dans son manteau d’hiver. Je l’ai rencontrée ici il y a un an. Elle me reconnaît. Elle me demande de lui rappeler mon nom puis elle dit: «Last year I was dancing naked. Now I got my coat on. I’m so rebellous.» C’est vrai. Elle était à moitié nue, complètement perdue. Elle ne sait pas que j’ai inclu cette rencontre dans une de mes nouvelles (une blonde «aux pupilles grosses comme le monde») et que j’ai donné son nom magnifique à un de mes personnages pour ne pas l’appeler par son vrai nom parce que c’est une fille qui existe aussi, en fait, celle qui m’a fait déménager à Berlin en 2011.
Je lui offre un shooter de Jägermeister. Elle le boit lentement, l’air de ne pas trop aimé ça. Moi non plus, j’aime pas trop, mais il me semble que c’est ça qu’elle avait pris la dernière fois. Ma mémoire doit faire défaut. Peu importe. Et de toute façon on est en Allemagne et la vodka est bonne seulement à 2 heures à l’est de Berlin, en Pologne. Je la regarde un moment. Elle est sous drogue. Laquelle? Who knows? Dès qu’elle le finit, elle met sa main sur mon épaule comme un au revoir (on entend rien ici). Elle est belle.
Je regarde les gens autour de moi. À cette heure, surtout des touristes (Italiens, Français, etc.), ceux qui viennent seulement pour le week-end. Les Berlinois arrivent plutôt vers 8h du matin, bien après le levée du soleil, après avoir dormi parfois. Certains arrivent même en soirée vers 20h, pour y rester jusqu’au lundi matin. C’est assez fou, je sais bien, mais c’est bien aussi. C’est différent. Assez drôle de penser que les gens ici font de l’argent, c’est-à-dire travaillent le jour, et pas tous des artistes ou des gens comme Almut qui travaille au coat check. J’ai rencontré une fille qui était «internet marketing manager» et une autre qui était professeure de géographie au secondaire. Je flirtais un peu avec elle et elle a tenu à me dire: «You know, I’ve got a boyfriend. He’s at home right now with his son.» Génial non? La fille au Berghain pendant que le gars est à la maison à donner le biberon.
Tiens: un iPhone. Je le remarque parce que c’est le premier que je vois de toute la soirée. Même ceux qui sont venus seuls ne regardent pas leur téléphone ici. L’ennui? Connait pas. Faut dire que le set de Robert Hood est divin. Un mélange de techno et de house. En attendant que le bartender me regarde pour acheter un Club Mate (une espèce de boisson énergisante naturelle typique de Berlin), je me dis que l’art du DJ est semblable à celui d’un bartender qui irait chercher les ingrédients les plus frais chaque semaine, les mixerait aux ingrédients classiques, avec une recette unique chaque soir. C’est facile à faire, mais c’est un art. Et si c’était si facile, pourquoi y aurait-il si peu de Robert Hood?
Mon dieu, est-ce que c’est Street Player de Chicago que j’entends? Oui. L’originale. Un bon deux minutes, puis on revient avec la techno. Et puis de la bonne vieille Acid House.
Robert Hood, je t’aime. Allez, fin du texte.
Let’s dance comme dirait David Bowie.
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