Hommage à la courge

19 septembre 2013

Hommage à la courge

J’avais commencé par faire une analyse sociologique extrêmement complexe afin d’expliquer pourquoi une bonne majorité de Québécois s’engueulent depuis un mois avec cette fameuse «charte de la laïcité» (qui interdit le port de signes religieux chez les employés de l’Etat, le huitième des travailleurs au Québec, et tous des jobs syndiqués – surnommée par un politicien d’opposition «la charte de la chicane») et pourquoi malgré tout le noyau dur du Québec – une grande minorité mais unie – reste assez modéré et s’accommodera finalement d’un compromis sain. En gros, dire : voilà, ça a l’air d’aller mal, mais en fait : tout va bien.

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Ma table de travail.

Finalement, je vais vous parler de la campagne où j’habite à temps plein depuis que je suis rentré au Canada de Berlin il y a une semaine. Ça va me donner moins mal à la tête et ça sera bien plus agréable pour vous.

J’habite donc pour les deux prochains mois à proximité du petit village de Saint-Anicet dans un chalet qui appartient à ma grand-mère (elle n’y va jamais) qui donne directement sur le fleuve Saint-Laurent (qui a plus l’air d’un gros lac à cette hauteur-ci), avec un grand terrain – il n’y a presque plus d’arbres parce qu’ils sont presque tous tombés lors d’une mini-tornade le jour où je suis arrivé (je jure!) – et je sens vraiment que j’ai de l’espace : c’est un assez grand chalet, pas de chauffage, pas de télé ni radio (tout a sauté lors du passage de la tornade), pas d’internet non plus, mais 8 pièces, 2 toilettes, on y est bien confortable, et le soir, le coucher de soleil est absolument magnifique. Je peux aller aux États-Unis en marchant : c’est bel et bien ce qu’on appelle «un petit coin de paradis».

Les gens ici sont relax, ils s’ennuient bien sûr (lorsque la tornade est passée personne ne s’est plaint, j’ai eu l’impression que les gens étaient presque contents), mais paraissent heureux malgré tout.

Est-ce que moi je m’ennuie? Non. Pas du tout. Je ne mens pas. Je ne m’ennuie pas du tout. C’est sûr que j’ai des choses à faire (travaux finaux à remettre, mon roman, la bouffe puisqu’il n’y a pas de fast foods aux environs), mais plusieurs moments à ne rien faire aussi. Moi qui détestais jadis les promenades, j’en ai déjà fait plusieurs, dont une de près de 4 heures, n’importe où devant moi.

Après une dizaine de kilomètres, je suis tombé sur la reconstitution d’un village iroquois des 1450s. Assez impressionnant. Connaissez-vous l’histoire des «Trois soeurs»? On me l’a contée. J’avoue que j’écoutais à moitié, mais en gros les trois soeurs sont le maïs, la courge et le haricot qui constituaient l’alimentation de base des Iroquois. Ils les cultivaient ensemble : la courge en bas qui créait de ses feuilles un micro-climat extrêmement bon pour le maïs qui poussait vers le ciel, et finalement le haricot qui s’enroulait autour du plant de maïs. Une belle leçon de multiculturalisme!

En apparence…

En fait, l’histoire du Canada se résume à peu près au fait que les Amérindiens ont été conquis par les Français au 16e et 17e siècle, qui ont été conquis à leur tour par les Anglais en 1760 qui sont devenus «Canadiens» en 1867, et les «Québécois» ont reconquis leurs terres, au moins économiquement, dans les années 1960s. Le multiculturalisme à la canadienne, c’est bel et bien une affaire de conquête. On pourrait dire que la courge a été écrasée par le maïs qui a été écrasé par le haricot. Au détriment des trois…

Historiquement, c’est ça.

Aujourd’hui c’est différent: pour poursuivre la métaphore végétale, la courge, c’est les régions du Québec : les travailleurs manuels, la «petite vie», comme à Saint-Anicet; le maïs c’est les Anglos et les Francos de Montréal qui regardent vers le ciel – comprendre l’«argent» – et les haricots c’est les immigrants qui regardent aussi un peu vers le ciel – le vrai – mais surtout qui se tiennent après le plant de maïs.

Après avoir été immigrant en Allemagne pendant quelques étés et même un immigrant à la campagne depuis une semaine, je me crois permis de juger : le bonheur n’est pas ailleurs, chers amis, ni dans le capitalisme, ni dans l’immigration (et surtout pas dans Dieu). On dit : «le sage regarde le ciel, l’idiot regarde le doigt». J’ajouterais que l’homme heureux fait sa petite affaire et crée un micro-climat sain dont chacun pourra profiter.

J’ai dit dans mon précédent billet que je serais tout à fait pour une «charte de la cécité» pas pour de vrai mais anti-internet, pro-introspection. Je maintiens cette opinion.

P.S. J’apprends le portugais en lisant du Fernando Pessoa (je vais vivre au Brésil une partie de l’an prochain) et je me suis souvenu d’un billet sur mon ancien blogue : «Nossa única riqueza è ver : cette phrase est la chute d’un poème de Fernando Pessoa dont la thèse générale est que les gens des régions sont plus riches que nous parce que les édifices des villes sont tellement hauts qu’ils nous empêchent de voir au loin et nous rendent donc pauvres parce que notre unique richesse, eh bien, c’est de «voir». Ma prof de français au cégep – que j’aimais bien parce qu’elle était jeune et jolie et surtout poétesse – l’avait sorti devant une classe à moitié endormie, à moitié éberluée. Quoi? Notre seule richesse c’est nos yeux ? Pis les aveugles eux ils font quoi ? Oui bon, l’abstraction c’est pas notre fort au Québec, et pourtant, lorsqu’on lit le poème au complet, tout est très clair. La ville – ou «le feeling de ville» qui a envahi les villages avec les chars, avec Facebook – nous a fait perdre cette proximité précieuse avec la nature en général et, de façon plus inquiétante, notre chère nature humaine.»

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Commentaires

serge
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Bonjour cher ami, je suis heureux d'apprendre ta venue au Brésil, ça fait plaisir. tu deviens 100 % latin, mais moi de mon côté j'aurai voulu connaitre la tranquilité de cette campagne canadienne.
au fait, j'ai toujours pensé que l'abordage multiculturaliste de Taylor était bon, a priori, d'ailleurs la commission qu'il formait avec l'autre avait conclu que les signes religieux dans les lieux publics "n'était pas un problème mais qu'is étaient problématiques", d'où la recommendation de les retirer (le crucifix au parlement national). Quant à la métaphore que tu utilise, je resterai sur ton titre "hommage à la courge" , j'ai l'impression que tu tends vers une politique du subalterne (disons, ayant les population indigenes comme point focal)... je me trompe?

Nicolas Dagenais
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Dis donc tu t'es renseigné! Taylor, le crucifix au parlement, t'oublies la croix du Mont-Royal. Personne en parle de celle-là: pourtant, on peut pas la manquer (https://static.panoramio.com/photos/large/43168460.jpg). Pour ce qui est de ma «politique du subalterne» je n'avais jamais entendu parler de cette expression. Gramsci hein? «Le malheur a habituellement deux effets : souvent il éteint toute affection envers les malheureux, et non moins souvent, il éteint chez les malheureux toute affection envers les autres.» Mais non pas vraiment. Les Iroquois ont même brûlé vifs Pierre Dagenais et Anne Brandon, mes arrières-arrières-14-fois-arrières-grands-parents! (https://claudeprudhomme.com/famille/castprud/f843.html) Mais ils ont des idées intéressantes les Amérindiens. Lis ça si ça t'intéresse: https://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=taiaiake%20alfred%20property&source=web&cd=15&ved=0CEgQFjAEOAo&url=http%3A%2F%2Fcritical-courses.cacim.net%2Ftwiki%2Ftiki-download_file.php%3FfileId%3D58&ei=86U8Uo39F8vE4APm54D4Dw&usg=AFQjCNFVML4_xYqGWMCawGf0Efdt9DArmQ&sig2=KxX2pLXiXeYkULbrJsazMQ&bvm=bv.52434380,d.dmg

Boubacar Sangaré
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Voilà que ça recommence!

manon
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Le sujet du roman?

Nicolas Dagenais
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évidemment... Berlin et le capitalisme

Serge
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je pensais que ce serait sur Cuba, tiens...