Un samouraï à Dakar

15 avril 2013

Un samouraï à Dakar

Prenez une carte du Sénégal et tournez la d’un quart vers la droite. Vous verrez : Dakar est la pointe de l’iceberg. On s’est plaint, probablement justement, à la Fondation Konrad-Adenauer – qui se réclame de la droite chrétienne – que le Sénégal était hyper trop beaucoup centralisé et que la totalité du trésor public était redistribuée vers la capitale. Des écoles en paille, il y en a une tonne en dehors de Dakar à ce qu’on dit, mais aujourd’hui, je me fous de tout ça : en dix jours, j’ai trop entendu de Blancs bien-pensants parler de l’Afrique comme d’un enfant handicapé. Ils n’ont certainement pas lu How to Write about Africa dans le Granta 92, ou ils sauraient qu’ils sont franchement ridicules.

Je vous présente donc le Dakar du samouraï que je suis, c’est-à-dire d’un Canadien qui préférerait se faire le harakiri que de se prendre en photo devant la Tour Eiffel.

Ça ne sera pas tout puisque j’ai rempli trois cahiers de notes depuis que je suis ici, mais quand même une demi-douzaine de bonnes adresses pour mieux vous perdre ensuite.

Allons-y.

Le jour.

Dakar, c’est 12 heures de soleil qui ne pardonnent pas, de 7 à 7. On m’avait averti, mais, à peine arrivé, j’ai pris un coup de soleil dans le front et j’ai été étourdi pendant deux jours (je n’étais pas le seul – dans l’avion la moitié des touristes avaient le visage rouge ou pelé et avouons que ce n’est pas très sexy). Même les Africains ici préféraient prendre un taxi que de marcher sous le soleil. Mais il y a une solution locale qui s’appelle: l’ombre. Agrémentez d’un livre ou d’un ami et ça se passe assez bien. Il reste juste à la trouver.

1- La plage du Magic Land. Si vous êtes blancs, oubliez la bronzette. Pour une saucette ça va, mais comme les plages sont treeless, cinq minutes c’est assez. Les Dakarois, pas cons, ont installé des tentes qu’on me dit qu’elles existent ailleurs, mais pour moi c’est du nouveau. Ça fait pas cher pour autant de temps que vous voulez, même pour manger un thiof grillé pêché le matin même et préparé excellemment dans le restaurant dont j’ai oublié le nom mais qui se situe à la gauche du Relais Sportif en regardant vers le Canada. Assurez vous que c’est propre avant d’entrer. C’est un bon endroit pour se salir si vous voyez ce que je veux dire. Et brûlez y l’encens, ça peut être une addition pas désagréable.

2- Le Bideew de l’Institut Français. Comme tout repère d’expats, celui-ci est à fréquenter avec modération, mais il y a quelque chose ici de plus magique que l’«amitié» France-Sénégal: 16 ventilateurs au plafond! Quand j’étais au Nicaragua, c’était au cinéma que j’allais pour me rafraîchir  mais ils sont rares ici. Le Bideew est aussi probablement l’endroit le moins cher au monde pour manger de la bouffe africaine sophistiquée. Pour 3500 Francs (7$), j’ai eu un thon mariné avec une ratatouille délicieuse, servi par un gars en rollers. Ils présentent aussi de bons concerts, mais attention: le public est assez froid.

3- L’Institut Goethe. Détrompez vous : l’Institut Geothe n’est pas le cousin de l’Institut Français dans le sens qu’il n’y pas d’expats ici. La raison est simple: selon le recensement 2013 de la Berlin Mondoblog Foundation, il y a 4 Allemands à Dakar et ils sont même pas Allemands. Mais ils payent un espace superbe dirigé par un «anarchiste» qui l’a rendu 100% Sénégalais. La vue du 5e étage – la bibliothèque – sur la Médina est imbattable avec, en prime, une piscine olympique vide rigolote juste en bas; le Wifi, même sur la terrasse, est 10 fois plus rapide qu’à l’Institut Français (grâce encore à l’«anarchiste»); ils servent du café pour l’instant, mais devraient rouvrir une petite cuisine d’ici quelques mois; le mercredi soir, ils présentent des films, des conférences littéraires de temps en temps – «Au cœur de la littérature» – avec des auteurs sénégalais et, de temps en temps aussi, un vernissage. Vendredi soir, j’ai vu l’expo de Babacar Traore: des photos prises avec un appareil amateur (gracieuseté de sa mère), qu’il a ensuite professionnalisé en computant des dessins magnifiquement colorés. «On se débrouille», dit-il. Mais le top: partout sur le plancher, des journaux déchirés qu’on piétine avec bonheur. Surtout que les journaux sénégalais sont aussi mauvais que les journaux occidentaux. J’en ai moi-même déchiré un le matin même lorsqu’on paraphrasait l’homosexualité en «l’acte contre-nature». Avoir su, je l’aurais amené. Dites bonjour à Michael Jeissmann – le directeur – de ma part. Et si vous voulez entendre parler de l’histoire des mariages mixtes – le sujet de ses nouvelles recherches – il se fera un plaisir de vous raconter le mariage entre Ramsès II et une princesse hittite dont vous oublierez le nom. J’oubliais : ils sont même abonnés au Berlin Poche là-bas avec de superbes articles écrits par… moi!

La nuit.

Je me suis fait réveiller à 7 heures chaque matin par mes co-chambreurs insomniaques sur les bords, et je ne suis pas autant sorti que j’aurais voulu. Cinq fois quand même…

1- Penc Mi : Je vous ai dit que les cinémas étaient rares ici, mais l’un d’eux (qui a fait faillite) se transforme la nuit en club de mbalakh. C’est la boîte qui appartient à Thione Seck, une célébrité ici. Je l’ai rencontré: semble-il rigolo, sympathique. Le mbalakh – du nom d’une percussion locale – c’est difficile à expliquer, mais c’est l’équivalent de la techno hardcore, mais avec un live band. En prime, un danseur en feu à la gauche du chanteur. Le rythme du mbalakh est extrêmement rapide et le chant  – en wolof  – est semblable à celui des muezzins. Je n’écouterais pas ça toute la journée, mais pour se défouler, c’est aussi bon que le Berghain. Le public ici est 99% noir et pas moins chic. J’imagine que le fils du président fréquente le Penc Mi parfois avec ses amis. D’ailleurs, gardez vous une petite gêne avant de vous laisser aller. Je cite un mondoblogueur: «Les clubs ici, c’est pas comme en Europe. Il y a un style de danse qui va avec chaque style de musique. Mal danser, c’est un peu la honte quoi.» Arrivez après les 2 heures du matin et précédez d’un stop dans une dibiterie haoussa pour de la viande de moutons grillée.

2- Les Petites Pierres. J’ai surtout revu là-bas les mêmes têtes d’expats que j’avais vu à l’Institut français, mais je vous en parle quand même parce que ça risque de devenir assez bien si ça réussit à s’«internationaliser». En fait, Les Petites Pierres, c’est le repère de hipsters du jeudi soir. Je me sens un peu ici comme un Klub der Visionäre à Berlin: ambiance relax, DJs branchés, possibilité d’acheter de la bouffe (et du beau linge) et petite différence, le design est beaucoup plus réfléchi ici que dans n’importe quel bar de Berlin (et les toilettes plus propres). Et pour y être allé le jour et rencontré Maya et Erwan – les proprios –, je sais que c’est, en plus de ce que ça a l’air, un effort qui va dans le sens du Sénégal «international» des années 1960. Pourtant, on remarque en entrant un grand panneau avec la citation anti-Senghor de Wole Soyinka: «Un tigre ne proclame pas sa tigritude.» «Ici, la négritude, ça ne parle plus aux jeunes, dit Maya. Ils ont tous accès à internet, même s’ils n’ont jamais voyagé, ils se considèrent comme des citoyens du monde.» Parmi les amis des Petites Pierres, il y a les gars de Recidive Magazine, un webmag de qualité. Pour découvrir le Dakar alternatif, c’est bien, et du reste, bien écrit.

3- Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les meilleures soirées sont celles qu’on ne prépare pas. Avertissement: il arrive que Dakar vous garoche une brique à la tête.

Et pour finir: l’adage que tous vrais samouraïs devraient se tatouer sur les fesses: « You belong to me and all Paris belongs to me and I belong to this notebook and this pencil.»

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Commentaires

Berliniquais
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J'en connais un qui a bien retenu les conseils de Khady Hann et qui désormais, "se lâche".

Super billet! Tu as bien fait de t'évader un peu de l'AUF, ça t'a permis de voir plus de choses de Dakar ;-)

Nicolas Dagenais
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Merci! C'est phénoménal le genre de texte qu'on peut sortir du wifi d'un McDo... ou de l'AUF d'ailleurs. C'est moi ou cet endroit manquait un peu de vie?

Danielle Ibohn
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je l'avais pas vu de cette façon Dakar... Il y a que toi pour m'embarquer dans une ville que j'ai visitée et m'y perdre. hahaha. Le Dagenais, toi alorrrrrrrrrrs! hihihi