Mea culpa

13 janvier 2013

Mea culpa

C’est une histoire vieille comme le monde. Un abribus du Boulevard Chambly à Longueuil. Une Québécoise de 20 ans (la sosie d’Anna Karina) et une Algérienne infertile contactée sur Kijiji. Un crime: la première s’apprête à vendre une ovule à la seconde parce qu’elle a besoin d’argent pour une rhinoplastie. Oui oui. Comme rhinocénoros: une chirurgie plastique du nez.  Mais qu’est-ce qu’il a ton nez? Il est très bien. Non, tu vois, il est croche. Mais je vois rien. Elle m’a sorti une loupe de sa sacoche. Ah oui! Je vois.

Moderne vous dites? So 2013?

Vouloir porter un enfant ? Vouloir se trouver belle? Le désir de féminité? Voyons! C’est juste qu’aujourd’hui, quand on veut, on peut. Grâce à la toute-puissance de la technologie.

Elle m’avait donné rendez-vous à 17h10 dans le dit abribus longueuillois, en face de L’aubainerie entrepôt. En fait, je l’avais invitée à faire de la figuration dans le court-métrage d’un ami, mais elle pouvait pas: «Zut, j’ai une réunion avec la dame qui veut m’acheter une ovule pour 6000 dollars.» Je l’ai convaincue de me laisser y assister.

C’était ma première fois à Longueuil, une banlieue de Montréal qui ressemble à toutes les autres banlieux d’Amérique du Nord: un peu beaucoup trop de décorations de Noël.

Je suis à l’heure. Je m’assois dans l’abribus. Je sors Les Lieux et la Poussière de Roberto Peregalli, conseillé par Pierre Foglia. 10 minutes. Une citation d’Heidegger: «Seul ce qui vient au monde de façon négligeable deviendra un jour une chose». 20 minutes. Une dame y entre. Je baisse la tête. Je la sens qui me regarde. Je ne peux m’empêcher de faire de même. Manteau blanc style Canada Goose. Teint berbère. C’est elle. Eye contact. Je suis gêné. Je souris comme toujours quand je suis gêné. Je suis un bien mauvais espion.

Mon amie arrive finalement. Elle est belle comme tout. Elle s’excuse d’être en retard. Elle m’envoie un SMS: «Suis-nous.» Je réponds: «OK, mais de l’autre bord de la rue.» 10-4.

Elles ont fait trois aller-retour sur le Boulevard Chambly entre l’Aubainerie et une épicerie sénégalaise. La dame ne m’a remarqué, mais je n’ai rien entendu non plus.

Et je me les gelais.

Une demi-heure. Mon amie prétexte d’aller au McDo pour pisser. Elle m’envoie un SMS: «Je vais essayer de l’emmener dans le Tim Hortons. Rejoins-nous là-bas dans 5 minutes.»

Merci! J’y vais. Je m’achète un café et un beigne que je n’ai jamais mangé. Je prends un Journal de Montréal qui traînait et je m’assois à la table qui faisait dos à la dame.

La musique était forte alors je n’ai rien entendu de plus que dehors, mais j’ai trouvé dans le journal une faute d’orthographe dans le nom du Premier ministre («Stephan Harper» au lieu de «Stephen Harper») et une phrase qui ne faisait aucun sens: «Puis, euphorique, Kim s’est exclamé: «We’re going to the Oscars !!!!», provoquant une nouvelle vague de cris qui ont sûrement réveillé les voisins qui ne dormaient pas encore.» Réveiller des voisins qui ne dorment pas. Oui, je sais: les journalistes sont pressés. N’empêche…

À un moment donné, j’ai fixé mon amie du regard et j’ai essayé de la faire rire avec une grimasse. Elle n’a pas bronché. Quelle actrice! Nez pas nez, cette fille ira loin dans la vie.

Puis après le départ de la dame, mon amie m’a tout raconté, dont la raison pour laquelle le rendez-vous s’était fait dans un arrêt d’autobus: «Tu le croiras pas, elle m’a dit qu’elle avait peur des journalistes.» Je me suis senti un peu mal. Est-ce que c’était vraiment nécessaire d’aller jouer à l’espion avec cette pauvre Algérienne infertile qui juste a envie d’être maman pour vrai?

Un journaliste avec qui je correspond parfois m’écrivait l’autre jour: «J’en ai beaucoup contre les journalistes-flics.»

Je ne le referai plus. Promis-juré-craché.

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