Les chercheurs d’or

Article : Les chercheurs d’or
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22 décembre 2012

Les chercheurs d’or

C’en est fini de l’école de journalisme. Enfin. Aujourd’hui, j’ai complété tous les cours nécessaires à l’obtention de ma licence. Enfin. Enfin. Enfin. Je dis «enfin» parce que ça fait deux ans et demi que j’y suis des cours et je me demande bien franchement ce que j’y ai appris. C’est vrai: j’étais un mauvais élève, mais j’ai fait autre chose au début – j’ai fondé deux web magazines -, et puis j’ai décidé de me concentrer sur mes études. (Pas l’école. Mes études.)

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Ryszard Kapuściński en compagnie de soldats du Movimento Popular de Libertação de Angola en 1975 (Crédit photo: Ryszard Kapuściński)

Certains profs m’ont dit que ce n’était pas un métier pour moi, mais ils me connaissent bien mal. J’ai toujours adoré explorer l’inconnu. Fouiller. Ça et écrire aussi bien sûr.

On pourrait dire que le «fouillage» est le propre du journaliste. Pas juste. Un poète polonais (je suis polonophile, si ça existe) parlait ainsi de la poésie: la poursuite passionnée du réel. Passionnée forcément parce que désespérée: on ne rattrapera jamais le réel, et même si c’était le cas, comment le communiquer objectivement?

Donc, le journaliste-chercheur de vérité, j’ai bien vite compris qu’il était analogue au chercheur d’or. De la politicaillerie, des enquêtes sur des gens corrompus (rarement sur des gens honnêtes), des sports, de la «culture», de l’international (des dépêches d’agences surtout), sans compter les sections «auto», «vivre», «vins», «voyage» pour la pub, la section «économie» ou «affaires» pour apprendre à faire de l’argent et de plus en plus, des appels à la charité, pour que les lecteurs ne se sentent pas trop mal d’en faire…

J’ai constaté qu’une minorité de journalistes s’approchaient un tant soit peu du réel – souvent ceux qui font les faits divers -, et je me suis longtemps demandé pourquoi.

J’ai trouvé la réponse chez une autre polonaise, Prix Nobel elle aussi. C’est la demande qui n’y est pas: deux personnes sur mille s’intéressent à la vérité. Et j’avoue qu’il y a quelques mois, je me qualifiais dans les 998 sur mille. J’avais décidé de cracher sur la vérité. Parce que la vérité, c’est le doute et le doute, c’est l’ennemi principal de l’action.

Pourquoi j’étais plutôt pour l’action que le doute? Parce que c’est beaucoup plus plaisant. Après quatre ans à l’université, je n’avais fait que douter, et puis, je m’étais comme «nihilisé»: j’avais arrêté de faire des tas de trucs hyper-plaisants que je faisais avant : de la musique, du cinéma, des sports, du journalisme et j’en passe… dommage, non?

Pourtant, comme journaliste, le doute, c’est un outil essentiel, c’est-à-dire que c’est en doutant qu’on s’approche le plus de la vérité. C’est mon prof préféré qui m’a dit: «Le journalisme peut être utile – ce n’est pas la panacée, mais quand même – pour faire douter les gens, pour défaire des mythes, pour remettre en question les certitudes.»

Il me l’a dit après les cours bien sûr (on ne dit pas ça à des futurs chercheurs d’or), mais sur le coup ça m’a donné confiance. Peut-être que le journalisme n’était pas si inutile que ça finalement. Et puis je suis rentré chez moi et je me suis rendu compte que ce n’était toujours pas ça. Le doute mène à l’inaction. L’inaction, c’est la solitude, c’est l’ennui.

Et si j’exagérais? Et si les poètes étaient défaitistes?

Il y en a un autre Polonais, un journaliste cette fois, qui a passé la plus grande partie de sa carrière en Afrique (il l’appelait «mon Afrique»). Je vous le traduis si vous voulez:

– Quel genre de nouvelle ne se retrouvait pas dans les journaux?

– Ce n’était pas la nouvelle qui ne se retrouvait pas dans les journaux: c’était ce qui entourait la nouvelle. Le climat, l’ambiance dans la rue, le sentiment des gens, les rumeurs de la ville, l’odeur; les mille et un éléments de réalité qui font partie de l’événement qui vous est décrit en en 600 mots dans votre journal du matin.

Il avait une expression latine pour décrire le réel: silva rerum, la forêt des choses. Pour lui, le journaliste devait se trouver au centre de la forêt pour s’approcher de la vérité.

Je le cite encore dans la même entrevue:

«Pourquoi je suis un nouvelliste? Pourquoi j’ai risqué ma vie tant de fois, suis passé si proche de la mort? […] Pour gagner un salaire? Pour moi, ce n’est pas une vocation, c’est une mission. Je ne me soumettrais pas à ces dangers si je ne pensais pas qu’il y avait quelque chose d’absolument important – à propos de l’histoire, à propos de nous-mêmes –  que je sentais qu’il fallait que je communique. Cela est plus que du journalisme.»

La poursuite passionnée du réel. C’est le doute et l’anti-doute comme antidote. L’impression que ce qu’on lit et entend dans les médias, ce n’est pas tout à fait ça qui se passe en réalité. Le sentiment (absurde peut-être) qu’on peut arriver plus près de la vérité que les autres et même communiquer ce qu’on voit, au moins subjectivement.

Je veux bien essayer. Mais ce n’est pas pour la Vérité. C’est parce que je m’amuse comme un fou à jouer au chercheur d’or. «But I’m getting old», chantait un Canadien anglais.

Pas moi. Pas encore.

P.S. Demain, je pars en reportage à Cuba.

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Commentaires

Serge
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dans la société de l'éphémère, "chercher de l'or" peut vouloir dire ceder au sensationnel. Et pour le journalisme, c'est une tragédie. je pense que c'est bien de dire ses passions. quant à la vérité, nous ne la trouverons jamais. moi j'ai abandonné le journalisme après une année d'exercice, heureusement donc qu'il y a des blogs (sans rédacteurs chef, sans ligne éditoriale, et toutes les autres contraintes, rien ne nous prépare à ça).
felicitation pour ton diplôme. tu as un grand talent d'écriture.
visite le Brésil quand tu pourras, ça risque de te plaire.

Nicolas Dagenais
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Eu vim da Bahia ;)

serge
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oulala