Montréal Cohen
En revenant, j’ai rencontré un ancien surveillant de mon école secondaire. Il me posait plein de questions. Étudiant en journalisme ? Cool. À l’UQAM, ah oui? C’est une bonne école. Dans quel domaine tu te spécialises ? Culture. Cool. Et tu couvrais quelque chose ce soir ? Ah oui ! Leonard Cohen, c’était bien? Attends, tu vas écrire sur un concert que tu n’as même pas vu ? Hein?
Eh oui, je me suis posé devant le Centre Bell, tout près des revendeurs de billets, et j’ai posé des questions aux gens, toutes simples : « C’est votre premier concert de Cohen? Comment vous le connaissez ? C’est quoi votre chanson préférée ? » Et les gens ont parlé, ils ont dit des tas de trucs : ils ont le 45 tours original de Suzanne, ou une première édition d’un de ses recueils de poèmes, ils l’ont vu en concert à Paris dans les années 1970 ou bien l’ont croisé il y a deux-trois ans dans un fast-food au coin de Mont-Royal et Saint-Laurent…
Mais leur chanson préférée ? Ça, ils ne savent pas. Moi c’est facile, il y en a trois: Stories of the Street, Famous Blue Raincoat et So Long Marianne … et j’ajoute la reprise en français d’Avalanche par Jean-Louis Murat… et encore sa reprise à lui d’Un Canadien errant. Eux, ils cherchaient, ils ne trouvaient pas. « Dance me to the end… Dance me to the end of love ? » Oui c’est ça. Ils ont été deux à me dire celle-là. Une de ses pires !
Il y avait un vieux monsieur, un Anglais qui m’a dit : « C‘est une chanson sur la vieillesse, ça dit where I used to play, ça parle de la vieillesse, i ache in the places where I used to play, je ne me souviens plus du titre. » Deux femmes derrière lui l’ont trouvé: c’est Tower of Love. Des Anglaises aussi, d’Angleterre. Ce sont elles qui l’avaient vu en concert à Paris en 1972. « À l’époque, il était plus connu en France qu’en Amérique. »
Un curieux est venu me voir: « T’écris pour un blogue ? J’accompagnais ma femme moi, c’est une vraie fan. Vous n’allez pas au concert vous ? Non, ma femme s’est acheté un billet à 350$ qui comprenait un coffret spécial. Il ne restait plus d’argent ». On a ri. Il aimait bien Cohen lui aussi, il aimait bien une chanson avec U.S.A. dans les paroles (Democracy). Ses enfants aimaient moins ça : « Ah non! Pas encore lui, c’est tellement plate… »
Je la connaissais très bien, Democracy, parce que j’avais étudié les paroles dans mes cours d’anglais au secondaire. Je n’avais pas réalisé alors à quel point il était controversé de chanter Democracy is coming to the U.S.A. en 1992, comme si elle n’était pas arrivé encore. And I’m neither left or right. I’m just staying home tonight.
J’ai fait une dernière entrevue pour la chance et j’ai parlé à ce monsieur qui m’a dit : « Leonard Cohen m’a introduit aux artistes folk anglophones, Joni Mitchell, etc. J’étais plutôt nationaliste avant et c’est lui qui m’a sorti de mon monde. » Je ne le croyais presque pas avant de croiser un jeune portant un macaron d’Option Nationale (petit parti indépendantiste). Montréal paraît tellement banal pour la génération qui a eu des cours d’anglais depuis l’âge de 8 ans, mais on ne se rend peut-être pas compte qu’il y avait une séparation beaucoup plus nette entre les francos et les anglos dans les années 1960. Leonard Cohen était politisé à sa façon, en ne l’étant pas, justement. Neither left or right.
Il ne s’était d’ailleurs pas gêné de voler la femme d’un sculpteur québécois : Suzanne.
Ça aurait fait une belle chute ça, mais je ne peux pas ne pas mentionner avant de clore cet article que je me suis fait traité de travesti par un itinérant qui traînait par là : « T’es un travesti. Je t’ai vu dans le village (gai). T’as une pomme d’Adam. » Ça m’a fait rire.
Pourquoi ? Un indice : «Montréal Anyways».
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