L’âme des peuples

Article : L’âme des peuples
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1 novembre 2012

L’âme des peuples

L’émission sur les livres qu’il faut absolument lire sinon on va mourir de faim culturelle et de faim normale aussi (les gens qui les ont écrits) prenait fin quand un des invités dont le métier est animateur de talk-shows pour madames a dit quelque chose de très faux : «Il y a beaucoup de livres à lire, mais les gens à la maison n’ont pas toujours le temps d’en lire des livres.» L’animatrice n’a pas cru bon en rajouter («qu’ils achètent des livres audios», comme si on pouvait «écouter» un livre en faisant autre chose). Personne évidemment pour dire que si les gens ont le temps de regarder la télé…

«La violence des casseroles» de Pierre Foglia (La Presse, édition du 26 mai 2012)

C’est Claudia Larochelle – une diplomée de mon école de journalisme – qui anime cette émission-là («Lire» à ARTV), mais ce beau moment de télé – selon l’expression consacrée même si parfois je me demande si ça existe ça, des «beaux moments de télé» –, c’était surtout Serge Halimi et l’éditorial du Monde Diplomatique du mois d’octobre:

«On n’a plus le temps de se plonger dans un livre « trop long », de flâner dans une rue ou dans un musée, de regarder un film de plus de quatre-vingt-dix minutes. Ni celui de lire un article abordant autre chose qu’un sujet familier. Ni de militer ni de faire quoi que ce soit sans être aussitôt interrompu, partout, par un appel qui requiert d’urgence son attention. […] Ensemble, nous prendrons le temps qu’il faut.»

Cet édito n’a pas vraiment rapport ou peut-être que si à cette chronique de Pierre Foglia (le doyen des chroniqueurs québécois) que j’ai lue quelques jours avant de prendre un vol Montréal-Berlin, un peu par écoeurement de ce «printemps érable» dont je vous ai déjà parlé. À sa lecture, j’avais presque eu envie de ne pas partir, de lutter encore. Je ne cite même pas l’extrait en entier, seulement les premiers mots.

«Dans 1984, le chef d’oeuvre d’Orwell que vous devriez ABSOLUMENT relire (quitte à lire moins les journaux) […]»

Assez particulier un journaliste qui nous dit de moins lire les journaux. Celui-là, il le dit parce qu’il a 73 ans et que son boulot est assuré jusqu’à sa mort, mais moi qui ai 23 ans et qui n’ai jamais fait un sou avec le journalisme, je ne vous le dis pas, je ne fais que partager.

Dans sa chronique suivante, il en remettait :

«Dans 1984, les livres sont plus ou moins interdits. Aujourd’hui le problème est réglé, pas la peine de les interdire: les gens n’ont plus vraiment envie de lire, de toute façon, ils savent de moins en moins lire, même le journal.»

Et de citer Jean Daniel, l’éditorialiste du Nouvel Observateur: «L’âme des peuples n’a été décrite que par les écrivains.»

Et moi, qu’est-ce que je fous à vouloir être journaliste alors?

Je vous dis un secret: je ne veux pas vraiment être journaliste. En tout cas, pas un chercheur de scoops bing bang. Un de mes profs s’en est aperçu («Peut-être que ce n’est pas pour toi»), mais non que je lui ai répondu parce que j’ai toujours voulu être écrivain et que je n’ai pas assez de patience pour écrire 250 pages sur le même sujet. Je sais, il y a toujours la poésie ou la nouvelle, mais j’aimerais bien manger aussi… alors je vais faire semblant seulement d’être journaliste bada boum boum, mais en fait je vais regarder vraiment. Pas juste avec mes yeux. Et je vais décrire ce que je vois. L’âme des peuples.

Un peu comme Pierre Foglia, qui fait assez mal semblant, mais quand même qui n’a jamais écrit de roman – peut-être a-t-il un déficit d’attention lui aussi? –, qui ne veut même pas publier un recueil de ses chroniques. Je lui ai écrit au mois d’août parce que j’aurais aimé pouvoir lire les chroniques qu’il a écrites avant que j’apprenne à lire.

«Vous pouvez demander aux gens de La Presse de retaper encore vos vieilles chroniques? Ils ont republié «Bonheur à tous» il y a quelques semaines et c’était très apprécié. Pas pour vous institutionnaliser! Pour qu’on puisse connaître un peu mieux l’histoire récente, pour la génération qui ne l’a pas connue.»

Il n’a pas donné suite.

Mais je vais lui réécrire en lui référant cette vieille entrevue du Paris Review avec Gabriel García Márquez qui avait accepté lui – à contre-cœur, c’est vrai – de republier, 15 ans après,  son premier gros scoop de journaliste avec le «Relato de un náufrago». Et vous aussi je vous conseille de la lire cette entrevue. C’est très long (presque 9000 mots), mais ça vaut la peine si vous voulez en apprendre un peu sur le métier de «décriveur» d’âme de peuples. Journaliste ou écrivain, il n’y a pas de différence, dit-il.

Ça vous prendra le temps d’un talk show.

Et toutes les entrevues du Paris Review depuis 1951, ça vous prendra le temps de 358 talk shows. Ça vous en fait une par jour pendant un an avec une semaine de vacances.

P.S. – Ah oui, je voulais vous dire. J’ai commencé à lire la toute nouvelle biographie de Leonard Cohen pour en faire un résumé, mais franchement – et c’est ça qui m’a inspiré le le blogue d’aujourd’hui – je n’ai pas eu (pris) le temps. Mais je vais le faire avant ses deux concerts à Montréal les 28 et 29 novembre prochain, surtout qu’elle m’a couté 35$ (27€).

 

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