Comme un rêve la nuit

Article : Comme un rêve la nuit
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28 octobre 2012

Comme un rêve la nuit

Je ne compte plus le nombre de fois que j’ai vu Lost in Translation. Peut-être une bonne vingtaine. Vous savez, le film avec Scarlett Johansson et Bill Murray? De la fille de Coppola oui. Ça se passe au Japon. Il se passe rien sauf la vie, plate comme de l’eau. Il m’était sorti de l’esprit jusqu’à avant-hier soir.

Bill Murray et Scarlett Johansson dans Lost in Translation de Sofia Coppola

J’ignore comment ça se fête l’Halloween ailleurs dans le monde ou si ça se fête tout court, mais chez nous, on se déguise et on fait la fête et, avant-hier, à la fête d’Halloween, il y avait cette fille qui ressemblait pas mal à Scarlett et qui portait une perruque rose qui ressemblait pas mal à celle que Scarlett porte dans la meilleure scène de Lost in Translation: la scène du karaoké, quand Bill Murray massacre More than this.

Ça coupe avant le deuxième couplet :

«Like a dream in the night/Who can say where we’re going?»

Dommage parce que Lost in Translation, comme je l’expliquais à cette charmante demoiselle à la perruque qui s’en foutait éperdument, c’est l’histoire de deux insomniaques sur le décalage horaire, complètement perdus – d’où le titre –, à Tokyo, mais surtout dans la vie. Scarlett – mariée depuis deux ans – vient de finir une licence de philo à Yale. Bill – marié depuis 25 ans – est un acteur dont les meilleurs jours sont derrière lui. J’espère ne pas gâcher votre plaisir – quand vous le louerez – en vous glissant les grandes lignes: ils se rencontrent, flirtent un peu et finissent par se «retrouver».

Si le film m’avait tant plu en 2005, c’est surtout qu’il me rappelait ces quelques semaines passées sur l’île de Vancouver à l’été de mes 16 ans. J’étais tombé amoureux d’une fille de la ville de Québec, Audrey qu’elle s’appelait je crois, une blonde. On n’avait rien fait vraiment – j’étais beaucoup trop gêné -, mais c’était déjà beaucoup. Grâce au film, j’avais pu revivre mon souvenir à volonté et échapper un peu à un morne automne scolaire.

Mais hier, quand j’ai réécouté Lost in Translation, je ne me suis plus du tout reconnu dans la nostalgie amoureuse, c’est plutôt l’insomnie des protagonistes qui m’a intéressé.

Eh oui…

Savez-vous combien vaut l’industrie des somnifères en 2012?

Non?

32,4 milliards de dollars!

5,6 millions de prescriptions par année, rien qu’au Canada, où l’insomnie touche apparemment 13,4% des gens. On dit que le stress au travail, l’insécurité financière et les problèmes relationnels n’y sont pas étrangers. Et ça empire avec le temps, à moins que – c’est mon hypothèse – ce soient les critères du diagnostic qui désempirent.

Il faut savoir que c’est un vieux phénomène, l’insomnie, surtout que les conditions de sommeil (confort, température, bruit) ont déjà été moins optimales. Je lis ici que les Égyptiens de l’époque pharaonique ont été les premiers à identifier un remède pour la combattre, le même que celui de Bill et Scarlett dans Lost in Translation: l’alcool.

Comme le disait un journaliste américain, je déteste le recommander à quiconque, mais ça a toujours fonctionné pour moi.

Mais non, je rigole : c’est la pire chose à faire.

En fait, ce qui est intéressant avec l’insomnie de Bill et de Scarlett dans Lost in Translation, ce n’est pas son traitement, c’est son statut. C’est qu’elle joue pour ses «victimes» un rôle très positif. Elle est non seulement le prétexte des rencontres nocturnes entre les deux protagonistes, elle est aussi la cause d’un état d’esprit qui les pousse à sortir de leur zone de confort et à remettre un peu de piquant dans leur vie.

Un peu de dream in the night

Ça m’a touché parce que je suis moi-même insomniaque et je commence à peine à en constater certains avantages.

La vie la nuit, par exemple.

Elle est belle la nuit avec sa perruque rose, trouvez pas?

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Commentaires

serge
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tu as vraiment du goût, Sofia copola, Ernest Hemingway "the sun also rises", mon écrivain américain préféré surtout les histoires sur la guerre civile en Espagne...enfin, félicitation pour ton bel article

Nicolas Dagenais
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Savez-vous ce que Nabokov disait des romans d'Hemingway? «Bells, balls and bulls». Et je vous laisse apprécier les mots d'un ami sur Lost in Translation : «Another elusive non-story about oh-so-existential beautiful misfits»... mais vous savez comme moi, question de goûts, ce sont nous qui avons raison!

Emma
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Je viens de découvrir votre blog et je dois avouer que je ne suis pas mécontente de ma découverte nocturne (justement!).