C’est pour de vrai

22 février 2014

C’est pour de vrai

J’ai été en Ukraine, il y a deux ans, mais seulement pour une semaine et, sans connaissance aucune du russe ou de l’ukrainien, je peux à peine dire que j’ai vraiment compris ce que mes yeux ont vu, mais j’y ai été: quelques jours à Kiev, la capitale, et à Lviv, sur ​​le chemin du retour de Kiev à Berlin, et j’y ai été accueilli aussi bien par une Ukrainienne russophone qu’une Ukrainienne ukrainienne, l’une d’elle – celle qui parle russe – étant une ex à moi, l’autre, une amie à elle qui parlait français parfaitement et qui m’a guidé dans Lviv qu’on dit le «petit Paris de l’Est».

564152_596126277131544_486047829_n

Sachant cela, vous comprenez que je suis particulièrement touché par les nouvelles et les images et les vidéos et les blogues qui me viennent ces jours-ci d’Ukraine : les émeutes, le feu, la mort. Mon ex, qui vit en Belgique, a publié sur Facebook une photo de la Place de l’Indépendance à Kiev – ci-dessus – avec «je ne peux pas croire que ce soit pour de vrai». C’est la ville où elle a vécu jusqu’à très récemment et c’est la ville qu’elle a quitté pour cause de manque d’opportunités et c’est la ville qu’elle m’a fait visité avec un mélange de dégoût et de fierté il y a deux ans.

Je ne sais pas si vous voyez, mais au fond de la photo, en tout petit, il y a une arche. Je ne l’avais pas remarqué d’abord moi non plus et l’ironie est, comme je l’ai su de mon ex, qu’elle célèbre l’«amitié» de la Russie et de l’Ukraine (officiellement, elle se nomme «arche de l’amitié entre les peuples»), la même amitié qui, aujourd’hui, est au coeur des tensions. Elle date de 1982 alors que l’Ukraine faisait encore partie de l’U.S.S.R.

Peut-être vous demandez-vous ce que pensent mes Ukrainiennes de ce qui se passe actuellement là-bas, y compris les détails dont les médias occidentaux parlent très peu, par exemple une certaine minorité néo-nazie dans le mouvement d’opposition? Je me le demandais aussi. Malheureusement, elles n’ont pas encore répondu à mes messages.

Donc, comme d’habitude, pour me faire une idée, au lieu de tirer mes infos des journaux, j’ai fait un tour du côté des écrivains. Je suis tombé sur l’un eux, l’auteur de livres tels que «Les meilleurs poèmes au monde, des histoires psychédéliques à propos de combats et d’autres conneries», « Big Mac » et «Hymne à la jeunesse démocratique», ce dernier étant un recueil de nouvelles, dont l’une d’elle décrit la tentative avortée d’un lutteur professionnel et d’un vétéran de la guerre de Tchétchénie d’ouvrir un club gay dans une petite ville ukrainienne. Il s’appelle Serhiy Jadan et il vit à Kharkiv, à l’est de l’Ukraine.

J’ai fouillé et j’ai déniché la traduction anglaise d’un billet de blogue écrit par Jadan datant de la mi-décembre  – les manifestations de l’«Euromaidan» ont commencé en novembre – à propos de l’attitude violente du maire de Kharkiv par rapport aux manifestants dans sa ville très pro-Russes et du maire en général et du pouvoir. J’en traduis un passage.

« D’une manière générale, il semble beaucoup trop nerveux et tendu pour un homme d’âge mûr dont un certain nombre de réussites se lisent déjà sur le curiculum vitae. Ni son veston-cravate, ni le titre officiel y peuvent changer quelque chose. Car le statut est un concept très relatif : aucune carte de visite et aucun pare-brise teinté ne peuvent changer votre vraie nature. Peut-être est-ce pour cela que son expression fétiche, qu’il ne cesse de répéter comme un mantra, est «Moi, maire de Kharkiv.» Il place cette expression dans toutes ses phrases, peu importe de ce dont il parle, comme s’il cherchait à constamment s’en convaincre. Peut-être est-ce en raison de ses crises de nerfs envers toute personne osant n’être pas de son avis? Il est pris de crises d’hystérie, de mensonges et de menaces. Et c’est là qu’entrent en jeu tous ces raids nocturnes. Il semble ne pas pouvoir supporter qu’on ne le craigne pas; il n’en a pas l’habitude. Je ne suis pas sûr qu’il comprenne que ce n’est pas la peur qu’il sème, mais plutôt le rejet et, de plus en plus, le ressentiment. Je ne suis pas certain qu’il se rende compte qu’il a déjà franchi le point de non-retour pour une retraite paisible et des promenades nocturnes sans gardes.»

Voilà du journalisme, pensai-je.

J’ai poursuivi ma recherche et j’ai lu que Jadan avait également eu l’un de ses poèmes dans une anthologie de poésie ukrainienne contemporaine intitulée «Nous n’allons pas mourir à Paris», et que le titre de celle-ci était tiré d’un poème apparemment célèbre de Natalka Bilotserkivets, datant de 1989 alors qu’une Ukraine indépendante était encore plus un rêve qu’une réalité. En voici à nouveau un extrait traduit de ma main.

«Nous n’allons pas mourir à Paris –
C’est ce dont je suis sûr –
Mais dans un lit provincial trempé de larmes et de sueurs.
Et personne ne va vous servir votre cognac,
Je sais
Nous ne serons pas rassurés par le baiser de quiconque
Les cercles d’obscurité ne vont pas disparaître sous le pont Mirabeau.
Nous avons pleuré trop amèrement et abusé de la nature
Nous avons aimé excessivement
Ainsi faisant honte à nos amants
Nous avons écrit trop de poèmes
Tout en négligeant les poètes.
Jamais.
Ils ne vont pas nous laisser mourir à Paris
Ils vont encercler l’eau qui coule sous le pont Mirabeau de lourdes barricades.»

Voilà de la poésie, pensai-je.

Et j’ai lu encore et les nouvelles ont annoncé que Ianoukovytch – le président tant détesté – avait dû fuir Kiev, non pas pour Paris, mais pour Kharkiv, en ce samedi matin.

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Serge
Répondre

On sent dans ce billet quelque chose qu'il manque dans la plupart des textes lus ci et là ...
l'authentique émotion de ceux qui ont réellement perdu quelque chose en Ukraine... ils ne sont ni américains ni russes...

Berliniquais
Répondre

Je comprends ton chagrin. C’est une chose à laquelle on n’est pas préparé, que de voir sombrer dans la guerre et le chaos un pays que l’on a découvert, visité, aimé. Enfin, en Ukraine parler de "guerre" est une exagération. Mais moi je pensais à la Syrie, l’un des plus beaux pays que j’aie jamais visités, avec des gens d’une hospitalité incroyable, du genre que la "téranga" sénégalaise, en comparaison, c’était pas grand chose. Eh bien quand je vois ce qui arrive à des villes comme Alep, Hama ou Damas où j’ai vécu de si belles choses, cela m’attriste énormément...

Mylène
Répondre

J'avoue ne pas avoir trop suivi les événements d'Ukraine, ne pas savoir grand chose sur ce pays, sur ses "enjeux" actuels, mais ton billet m'a vraiment donné envie d'en savoir plus. Tes billets provoquent souvent chez moi cette envie...