Last call et corruption

19 novembre 2013

Last call et corruption

Malgré ma hâte à aborder le sujet de l’élection d’un nouveau maire à Montréal le 3 novembre, j’ai patienté en attendant le déroulement d’une saga formidable dont on commence à parler dans le monde entier: celle du maire de Toronto, Rob Ford, connu surtout pour s’être fait filmer en fumant du crack et qui est, même si ce n’est pas illégal de se faire filmer en fumant du crack, dans l’eau chaude depuis. Hier, j’entendais à la radio qu’on avait voté là-bas une motion non pas le démissionnant mais quasiment.

Le crack, l’aveuglement devant une corruption évidente (de notre ancien maire Gérald Tremblay, qui avait été poussé à la porte et que j’avais d’ailleurs été un des seuls à défendre), la corruption tout court de son successeur Michael Applebaum, ou encore l’harcèlement sexuel quasi-obsessif de ses employées féminines (voir Bob Filner, ancien maire de San Diego – qui a par ailleurs le plus grand sourire au monde): il semble que la compétence unique d’un maire moderne soit de ne pas se faire trop remarquer, ou bien de se faire remarquer de drôle manière comme y est habitué le maire de Reykjavik.

Mais y a-t-il, en plus de ne rien faire de mal, une utilité réelle au métier du maire?

Le 3 juin 1833: date de l’élection du premier maire de Montréal, Jacques Viger. Passons outre le fait que la ville soit née sans maire (comme Jésus sans père) et qu’on ait eu l’idée d’en élire un seulement deux siècles après – alors que la ville venait toute juste de dépasser Québec en terme de population avec 28 000 habitants – et voyons-y de près.

Jacques Viger a été maire 3 ans durant, jusqu’à la rébellion des Patriotes de 1837-1838, durant laquelle la ville a été mise sous tutelle. Ce qu’il a fait: des travaux de drainage. Il y avait eu en effet une épidémie de choléra en 1832 (1904 victimes) et une autre plus petite en 1834 (913 victimes): ceux qui sont forts en maths constateront que c’est environ le dixième de la ville qui périssait ainsi. Aujourd’hui, alors que la population sur l’île de Montréal est de 4 millions avec sa banlieue (1,5 millions sans), ça ferait 400 000 personnes. Le drainage n’a pas empêché une troisième épidémie en 1849 (700 victimes).

On remarque toutefois que le Bas-Canada (le nom de la province de Québec à l’époque) comptait alors 400 000 habitants et que ses deux plus grandes villes – Québec et Montréal – n’y comptaient que pour 15%, alors qu’aujourd’hui, Montréal, c’est la moitié du Québec: c’était l’époque de l’exode rural et des migrations et on a créé le poste de maire pour résoudre un problème qui venait avec le grossissement de la ville: le choléra.

Aujourd’hui, alors que les épidémies font plus peur que mal, quels sont les problèmes des villes?

À Montréal, c’est surtout la corruption: voilà pourquoi M. Tremblay s’était fait montrer la porte. A court une Commission d’enquête publique pour en mesurer l’ampleur. Le nouveau maire a donc promis de créer un poste d’ «inspecteur général» comme ils ont à New York depuis 1873, alors que la ville vivait ses premiers scandales de corruption. Montréal avait déjà un «vérificateur général» et un «contrôleur général», maintenant elle aura un «inspecteur général»: celui-ci, selon le site internet de Denis Coderre, «aura un véritable pouvoir d’enquête et de contrainte, contrairement au vérificateur général et au contrôleur général». Une genre de police de mafiosos.

Je ne sais pas…

Selon la fondation City Mayors, le meilleur maire au monde est le maire de Bilbao, Inaki Azkuna, qui a sûrement profité du «Guggenheim effect», la création du musée à l’architecture formidable en 1997 qui a presqu’à elle seule renouvelé cette ville industrielle du Nord de l’Espagne en arrêt obligé pour ceux qui visitent la région.

Je ne suis jamais allé à Bilbao, mais j’ai entendu une chanson, chantée d’ailleurs par un fameux communiste: La chanson de Bilbao.

C’est drôle: ça ne parle ni d’«inspecteur général», ni de Guggenheim, ni même de choléra…

En fait, ça parle d’un bal: le bal à Bill à Bilbao. Ce qui me fait penser que la raison pour laquelle je préfère Berlin à Montréal, c’est en gros que je préfère son «nightlife».

Moi, un «inspecteur général», ça ne me dit rien, un musée à 150 millions de $ non plus, mais je ne serais pas contre l’abolition de l’interdiction de la vente d’alcool (le fameux «last call», un résidu de la prohibition) dans les clubs après 3 heures du matin, ce qui tue toute possibilité d’avoir un minimum de «vie de nuit» ici. À Berlin, il y en a jamais eu. En Angleterre, depuis 2005, plus d’interdiction non plus. Et qu’est-ce qu’on attend nous?

Je propose donc au maire-fumeur de crack de Toronto de se présenter à Montréal aux prochaines élections municipales. On dit qu’il est alcoolique aussi alors on sait jamais.

La corruption, c’est beau, mais notre problème à nous, c’est pas aussi qu’on s’ennuie le vendredi soir? Va savoir! Qui dit que ce n’est pas même à ça qu’on doit la corruption?

En attendant, comme toujours, j’ai coché les cases de tous les candidats. 16 qu’ils étaient!

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Commentaires

Mylène
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Ah, j'aime la chute et tout le cheminement qui la précède... en somme, j'ai aimé le billet, car j'ai "voyagé". Et puis, j'ai la nostalgie de Montréal, car je ne m'y ennuyais jamais, même le vendredi soir...

Nicolas Dagenais
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Salut Mylène, merci d'amener un peu de ta chaleur guadeloupéenne sur mon blogue amorphe que je devrais peut-être renommer «Montréal congelé»! Fait 30 chez vous? Aie aie aie! C'est maximum 0 ici... eh oui! Déjà! C'est beau dire «voyager», mais si tu savais que je porte déjà mon manteau d'hiver à l'intérieur... Tant mieux pour toi!

Pour ce qui est des vendredis soirs, «ennui» n'est peut-être le bon mot pour décrire ces nuits froides à arpenter les rues glissantes en quête d'un «afterhour», ou à attendre le bus de nuit qui vient aux 45 minutes (en effet, ça adonne que le métro est fermé à 3h du matin, jusqu'à 6h) et qui prend encore 45 minutes à arriver à ma banlieue éloignée.

Dans tous les cas, après Berlin, c'est dur de revenir aux nuits d'ici... Mais t'as raison de me rappeler que par le passé je n'ai pas chaumé moi non plus (j'ai même déjà été DJ).

Et puis une chose qu'il y a à Montréal et pas ou peu à Berlin, c'est les fêtes d'appart... Seul problème: interdiction d'acheter de l'alcool après 23h... et les prix du vin!

pascaline
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Contente de te relire! Parce que comme Mylène, j'ai la nostalgie de Monteéal et de sa "nightlife" parfois limitée ou on attend le bus de nuit des heures, parce que contrairement à Marseille il n'est pas passé en retard mais en avance!!! J'aime.bien cet article car il de construit un peu mes croyances sur la vie politique québécoise et canadienne qui me laissaient penser qu'il n'y avait que la ritournelle question de l'indépendance en jeu, ce qui m'a très rarement (voir jamais) donné l'envie d'ouvrir les pages du "Devoir". Au lieu de ça, j'y découvre des mafiozos que je pensais seulement à Marseille et j'imagine des scénarios à la Al pacino pour donner une image un peu "wild" à Montréal. Bon ici aussi on s'ennui par rapport à l'Egypte, mais l'alcool est autorisé même après 3h du matin et pas emballé dans un sac opaque comme si c'était du crack. Ce que je regrête parfois, en faite, car les films qui tournent dans ma tête a cette heure la quand je rentre sont aussi + "wild"! Eternels insatisfaits! Bon retour à Montréal!

Nicolas Dagenais
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L'indépendance, pfff..., plus personne n'en parle, surtout pas les indépendantistes. Et Le Devoir, c'est nul! Faut lire https://lenavet.ca/

serge
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Si vous ne savez pas trop ce que pourrait faire le maire de Toronto, ici on lui proposerait bien "Jardinier", car hier on suivit le match Brésil x Chili, et mon ami... la pelouse laissait à désirer :)
"Passons outre le fait que la ville soit née sans maire (comme Jésus sans père) ", elle est très bonne celle-là.
Au fait, la constitution américaine dit "... à la poursuite du bonheur", chez vous, ça dit quoi? sinon, si t'as rien à foutre le vendredu soir, essaye le Butan, là-bas ce serait une affaire d'Etat...

Nicolas Dagenais
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Ah! le Bhoutan! Quand je suis triste, je répète 100 fois: Bhoutan, Bhoutan, Bhoutan... Ça me remet «drette» sur le piton» comme on dit ici-bas.