Last call et corruption
Malgré ma hâte à aborder le sujet de l’élection d’un nouveau maire à Montréal le 3 novembre, j’ai patienté en attendant le déroulement d’une saga formidable dont on commence à parler dans le monde entier: celle du maire de Toronto, Rob Ford, connu surtout pour s’être fait filmer en fumant du crack et qui est, même si ce n’est pas illégal de se faire filmer en fumant du crack, dans l’eau chaude depuis. Hier, j’entendais à la radio qu’on avait voté là-bas une motion non pas le démissionnant mais quasiment.
Le crack, l’aveuglement devant une corruption évidente (de notre ancien maire Gérald Tremblay, qui avait été poussé à la porte et que j’avais d’ailleurs été un des seuls à défendre), la corruption tout court de son successeur Michael Applebaum, ou encore l’harcèlement sexuel quasi-obsessif de ses employées féminines (voir Bob Filner, ancien maire de San Diego – qui a par ailleurs le plus grand sourire au monde): il semble que la compétence unique d’un maire moderne soit de ne pas se faire trop remarquer, ou bien de se faire remarquer de drôle manière comme y est habitué le maire de Reykjavik.
Mais y a-t-il, en plus de ne rien faire de mal, une utilité réelle au métier du maire?
Le 3 juin 1833: date de l’élection du premier maire de Montréal, Jacques Viger. Passons outre le fait que la ville soit née sans maire (comme Jésus sans père) et qu’on ait eu l’idée d’en élire un seulement deux siècles après – alors que la ville venait toute juste de dépasser Québec en terme de population avec 28 000 habitants – et voyons-y de près.
Jacques Viger a été maire 3 ans durant, jusqu’à la rébellion des Patriotes de 1837-1838, durant laquelle la ville a été mise sous tutelle. Ce qu’il a fait: des travaux de drainage. Il y avait eu en effet une épidémie de choléra en 1832 (1904 victimes) et une autre plus petite en 1834 (913 victimes): ceux qui sont forts en maths constateront que c’est environ le dixième de la ville qui périssait ainsi. Aujourd’hui, alors que la population sur l’île de Montréal est de 4 millions avec sa banlieue (1,5 millions sans), ça ferait 400 000 personnes. Le drainage n’a pas empêché une troisième épidémie en 1849 (700 victimes).
On remarque toutefois que le Bas-Canada (le nom de la province de Québec à l’époque) comptait alors 400 000 habitants et que ses deux plus grandes villes – Québec et Montréal – n’y comptaient que pour 15%, alors qu’aujourd’hui, Montréal, c’est la moitié du Québec: c’était l’époque de l’exode rural et des migrations et on a créé le poste de maire pour résoudre un problème qui venait avec le grossissement de la ville: le choléra.
Aujourd’hui, alors que les épidémies font plus peur que mal, quels sont les problèmes des villes?
À Montréal, c’est surtout la corruption: voilà pourquoi M. Tremblay s’était fait montrer la porte. A court une Commission d’enquête publique pour en mesurer l’ampleur. Le nouveau maire a donc promis de créer un poste d’ «inspecteur général» comme ils ont à New York depuis 1873, alors que la ville vivait ses premiers scandales de corruption. Montréal avait déjà un «vérificateur général» et un «contrôleur général», maintenant elle aura un «inspecteur général»: celui-ci, selon le site internet de Denis Coderre, «aura un véritable pouvoir d’enquête et de contrainte, contrairement au vérificateur général et au contrôleur général». Une genre de police de mafiosos.
Je ne sais pas…
Selon la fondation City Mayors, le meilleur maire au monde est le maire de Bilbao, Inaki Azkuna, qui a sûrement profité du «Guggenheim effect», la création du musée à l’architecture formidable en 1997 qui a presqu’à elle seule renouvelé cette ville industrielle du Nord de l’Espagne en arrêt obligé pour ceux qui visitent la région.
Je ne suis jamais allé à Bilbao, mais j’ai entendu une chanson, chantée d’ailleurs par un fameux communiste: La chanson de Bilbao.
C’est drôle: ça ne parle ni d’«inspecteur général», ni de Guggenheim, ni même de choléra…
En fait, ça parle d’un bal: le bal à Bill à Bilbao. Ce qui me fait penser que la raison pour laquelle je préfère Berlin à Montréal, c’est en gros que je préfère son «nightlife».
Moi, un «inspecteur général», ça ne me dit rien, un musée à 150 millions de $ non plus, mais je ne serais pas contre l’abolition de l’interdiction de la vente d’alcool (le fameux «last call», un résidu de la prohibition) dans les clubs après 3 heures du matin, ce qui tue toute possibilité d’avoir un minimum de «vie de nuit» ici. À Berlin, il y en a jamais eu. En Angleterre, depuis 2005, plus d’interdiction non plus. Et qu’est-ce qu’on attend nous?
Je propose donc au maire-fumeur de crack de Toronto de se présenter à Montréal aux prochaines élections municipales. On dit qu’il est alcoolique aussi alors on sait jamais.
La corruption, c’est beau, mais notre problème à nous, c’est pas aussi qu’on s’ennuie le vendredi soir? Va savoir! Qui dit que ce n’est pas même à ça qu’on doit la corruption?
En attendant, comme toujours, j’ai coché les cases de tous les candidats. 16 qu’ils étaient!
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