All is (not) well ou la haine du Hipster

13 mai 2013

All is (not) well ou la haine du Hipster

On m’a reproché – et comme il n’y a que cinq personnes qui ont lu ma dernière chronique, ça fait au moins 20% de mes lecteurs – d’y taquiner sans raison les hipsters. Je me suis justifié ainsi: «Les hipsters ne lisent pas, ils s’y connaissent assez bien en musique et un peu en cinéma, mais pas en littérature ou presque pas.»

Bon.

Le hipster bashing en public, ce n’est pas mon habitude, parce que pour la plupart des gens, j’en suis un alors ça serait plutôt mal compris, mais en privé, je suis un habitué et quand j’en vois marcher sur Sonnenallee (surtout ceux avec les pantalons trop courts), j’ai très souvent une envie soudaine de légaliser le suicide assisté.

Alors, ça n’a pas été très agréable, vraiment pas en fait, mais pour vous j’ai joué à l’undercover et j’ai passé une soirée complète avec un groupe de hipsters berlinois, dont un Allemand, une Allemande, deux Anglais, une Alaskienne, une Australienne d’origine chilienne, un Danois d’origine serbe, et un sexagénaire de je sais pas d’où.

Mais qu’est-ce donc qu’un hipster?

Attention. Je ne me souviens plus* de la dernière fois que j’ai lu un truc intelligent sur les hipsters, mais je suis plus ou moins d’accord avec la définition de Wikipedia:

«Hipster est un terme des années 1940 qui désignait à l’origine les amateurs de jazz et en particulier du bebop qui devint populaire dans ces années-là. Le hipster adoptait le mode de vie du musicien de jazz, notamment la manière de se vêtir, l’argot, l’usage de drogues, l’attitude détendue (« cool »), l’humour sarcastique, la pauvreté de rigueur et des codes de conduite sexuelle libre. Les premiers hipsters étaient généralement de jeunes blancs qui adoptaient le style des noirs urbains de l’époque. Ceux qui vinrent ensuite ne connaissaient pas forcément l’origine culturelle de ce mode de vie.» L’italique est de moi.

Le bebop donc, c’était l’opposition au jazz mainstream de l’époque, c’est-à-dire le swing et le jazz de bigs bands de la génération née en 1900-1910 de Duke Ellington et Louis Armstrong (qui détestait le bebop), Billie Hollyday et Ella Fitzgerald, et c’était donc plutôt la génération des 1920s avec les sax de Charlie Parker et John Coltane, les trompettes de Dizzy Gillespie et Miles Davis et une contrebasse et une batterie et un piano et parfois une guitare.

Écoutez par exemple le Dexterity de Charlie Parker avec Miles Davis, basé sur le I got Rhythm de George Gershwin comme ma foi le trois-quart des chansons de jazz.

Eh bien, les hipsters adoraient le bebop, et le hipster par excellence était Jack Kerouac qui écrivait de Charlier Parker qu’il était «musically as important as Beethoven» et que «his expression on his face was as calm, beautiful, and profound as the image of the Buddha represented in the East, the lidded eyes the expression that says « All Is Well »»

Et il n’était pas qu’un fan, il était aussi un ami. Dizzy Gillespie est allé jusqu’à enregistrer en 1941 une pièce intitulée Kerouac avant même qu’il n’écrive son premier roman.

Et je ne suis pas peu fier de dire que Jack Kerouac était Canadien-Français (né au États-Unis résultat de l’exode états-unien d’environ un million – la moitié – de Québécois au 19e siècle), s’appelait en fait Jean-Louis Kirouac surnommé Ti-Jean, et que l’arrière-grand-père de Jack Kerouac était même le frère du grand-père de René Lévesque, qui est notre Charles de Gaulle à nous les Québécois. Il a déjà écrit: « Je suis Canadien Français, mis au monde à New England. Quand j’fâché j’sacre souvent en français. Quand j’rêve j’rêve souvent en français. Quand je braille j’braille toujours en français.»

Il y a une entrevue sur Youtube où on le voit très bien parler un Français rouillé mais assez bon avec un fort accent québécois dont le public de l’émission Le Sel de la semaine s’était même apparemment moqué: «Oh qu’est-ce que moi j’pense de moi-même? J’tanné de moi-même! (rires) Ben… j’sais que j’t’un bon écrivain, un grand écrivain. Je suis pas un homme de courâge, mais une chose que j’sais faire, c’est écrire des histoires pis c’est toute.» Il avait écrit les dix premières pages de On The Road (qui s’appelait alors «Sur le chemin») en joual qui est l’argot du Québec: «Et le tigas dorma dans machine de l’éternité noire, que son père conducta à travers de la nuit.» «Tigas», c’est petit gars. Quant à «conducta» de «conduct», j’ai jamais entendu ça mais pourquoi pas?

En tout cas, l’anormalité de Jack Kerouac à la fois dans son pays de naissance comme fils d’immigrants et son pays d’origine par son français rugueux a probablement facilité sa bonne entente avec les jazzmen de Harlem et Norman Mailer (qui a récemment joué dans King Lear de Jean-Luc Godard) avait raison de qualifier les hipsters de White Negro dans un essai de 1957. Il vante leur «psychopathic brilliance» et affirme que que le hipster est celui qui sait que «the only life-giving answer is […] to divorce oneself from society, to exist without roots, to set out on that uncharted journey into the rebellious imperatives of the self …»

Alors voilà: c’était ça, le hispter dans les années 1950s: des extra-ordinaires.

Et aujourd’hui?

Ils ressemblent.

Mais ils sont riches (ou ont des parents riches en cas de besoin), blancs (et même les Noirs), anglophones (ou anglophonisés), diplômés (mais pas tellement cultivés).

Ça donne quoi?

J’étais avec eux samedi soir, jusqu’à dimanche matin, et je peux témoigner: un gigantesque ego pas du tout proportionnel à l’intelligence et c’est d’un ridicule.

J’ai envie de piquer les mots de Flaubert: la haine du Hipster est le commencement de la vertu.

* Ah si, là je me souviens: https://www.nytimes.com/2010/11/14/books/review/Greif-t.html?pagewanted=1

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Rijaniaina
Répondre

Je découvre ce qu'est un "hipster" à travers tes articles!

Rija

Nicolas Dagenais
Répondre

J'espère que tu découvres surtout Jack Kerouac!