Papier Socialisme
– L’argent est un bien public.
– Comme l’eau alors?
– Exactement.
Je ne suis pas socialiste, ou si: je le suis, mais pas dans sa forme capitalisante, c’est-à-dire je ne suis pas social-démocrate. Je le suis plutôt – et ne me jetez pas en prison, je ne planifie pas de révolution – dans sa forme marxisante et je mets tout de suite un bémol, pas pour l’égalité à 100%, mais je suis contre les inégalités trop marquées entre les pays du Nord et du Sud. C’est-à-dire que par marxisant, j’entends que je suis tout aussi contre le socialisme nationaliste à la Suédoise que je suis pour le socialisme international. Je précise encore: je suis indépendantiste et pour la décentralisation à l’Américaine…
Ça paraît complexe tout ça, mais au fond, c’est simple.
Hier, je reçois un courriel de Susana. Susana est une actrice. Susana est aussi Cubaine.
«Dear Friends, I have been approved for the Playback Leadership course […], headed by Jonathan Fox himself, the creator of Playback Theatre. […] But this course will take place in Hungary. […] It is not possible for me to pay the ticket, because of my lack of income. […] If in any way you an support me, please, get in touch with me. […] THANK YOU, DEAR FRIENDS, OR YOUR PATIENCE, LOVE AND DISPOSITION. Con amor // With love, Susana Gil (Actress and conductor of the company Cuerpo Adentro Playback Theatre)»
Vous savez: Cuba a aboli la fameuse «carte blanche» en janvier, un permis de voyage qui rendait les déplacements internationaux beaucoup trop coûteux pour le Cubain moyen. Elle le fait parce que ça ne changera rien du tout: le Cubain moyen n’a toujours pas les moyens de se permettre un mojito, encore moins un billet d’avion, même pour les U.S.A.
Voilà.
Bon, alors moi qui me fait payer un deuxième séjour d’études (en deux ans) à Berlin par le ministère de l’Éducation du Québec et un voyage au Sénégal par RFI (et donc le ministère des Affaires étrangères de France) – même si j’ai un «background» tout ce qui a de plus bourgeois – puis-je moralement répondre à Susana dans des termes empruntés à un concours sous le bouchon d’une bouteille de Coca-Cola: «Better luck next time»?
Non.
Même si je n’ai pas d’argent. Je ne peux pas. Ce serait immoral et je n’utilise pas ce mot-là souvent. Je connais Susana depuis 2011. Une fille simple et géniale. Elle est catho à fond. Quand je suis retourné à Cuba en décembre, elle n’a pas hésité à m’héberger (illégalement) à 2 reprises et m’a même offert à manger, sans rien demander en retour, et moi je refuserais de l’aider en sachant que le même pays – les U.S.A. – qui a colonisé, puis ruiné son pays est le premier partenaire économique du Canada? Je serais un con.
Et pourtant, c’est un peu l’attitude que nous avons, nous autres, au Nord… non?
Voyons aussi ce texte de Boubacar Sangaré, publié hier sur son blogue: https://bouba68.mondoblog.org/2013/03/28/generation-pas-de-chance/
Boubacar a résumé mieux que quiconque le Monboblog:
«Je suis d’avis que tous ces billets ont le mérite de permettre à des jeunes qui ne partagent rien en termes d’éducation, de culture et que sais-je encore, de faire savoir qu’ils ont une aspiration commune: celle de voir se briser les frontières que l’histoire et la géographie ont établies, et que, aujourd’hui des grands mots tels que le droit international, la communauté internationale, la diplomatie…s’acharnent à maintenir et renforcer.»
De lire Marx («Prolétaires de tous les pays, unissez-vous»), assez confortablement installé dans son appartement du 50, rue Jean D’Ardenne à Bruxelles, et de lire Boubacar, le Malien aux parents analphabètes nous rappeler que la «génération causante» c’est plutôt une «génération pas de chance» et de la décrire magnifiquement, ainsi:
«C’est une génération qui accumule les diplômes pour les déposer « aux offres d’emploi du chômage ». Qui n’a rien et qui court le risque de ne rien avoir. Qui prend du thé, fume…jour et nuit pour refouler -au sens où l’entend Freud- le sort malheureux auquel la vie l’ a condamnée. Qui mange aujourd’hui en s’inquiétant pour le lendemain. Qui…qui pense désormais que les études sont un cul-de-sac. Cette génération n’est ni consciente, ni causante; elle n’a pas de chance, c’est tout.»
Disons que ça réveille.
P.S. – Un des mes plus beaux textes que je vous conseille humblement de lire et relire: https://unenfantdemarxetdecocacola.tumblr.com/post/25442918489/die-grenze . Ou au moins cette phrase qui est la plus belle que j’ai écrite: «L’égalité, pour moi, c’est vouloir que mes amis de Cuba, du Nicaragua, de Ville Saint-Laurent [le quartier aux 166 «ethnies» de Montréal où je suis né et ai grandi] puissent voyager eux aussi.»
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